En bref

L’enjeu

En France, on constate une inadéquation quantitative et qualitative entre l’offre et la demande de logements abordables. Les bailleurs sociaux rencontrent des difficultés grandissantes, dans les zones tendues, à loger les ménages modestes dans leur parc neuf du fait de niveaux de quittance trop importants.

La démarche proposée

L’Action Tank propose de :

  • inverser le processus habituel de détermination de la programmation locative sociale en partant d’abord des besoins en logements non ou mal satisfaits sur le territoire, puis en intégrant dans un second temps les contraintes économiques, administratives et politiques, pour aboutir à une programmation qui contribue à réduire les inégalités d’accès au logement sur le territoire ;
  • renverser le processus de conception d’opérations de construction de logements grâce à un pilotage par le coût global des futurs logements (coûts tout au long du cycle de vie du bâtiment, de sa conception, son exploitation à sa démolition) dans le cadre d’une méthode de conception intégrée prenant en compte les usages.

Les partenaires du programme

Bilan de l’année 2023

  • L’opération des Jardins de Stains a été inaugurée en mars 2022 et les logements ont été progressivement attribués par le bailleur Seine-Saint-Denis habitat lors des mois suivants. Au cours de l’année 2023, un suivi de l’évolution des charges des locataires et de la démarche participative a été mis en place avec le bailleur. Un article détaillant la démarche et l’opération
    de Stains est paru dans le journal Le Monde début janvier 2024.
  • Une étude a été réalisée pour la ville de Buc (78) afin de mesurer l’adéquation entre la demande et l’offre de logements sociaux sur la commune. L’identification des publics ayant le plus de difficulté à accéder au logement et la confrontation de leur solvabilité avec des niveaux de loyers permet de formuler à la commune une proposition de programmation théorique pour
    une future opération, partant des besoins tout en respectant des objectifs de mixité sociale et de financement.
  • Dans le cadre du partenariat avec Bouygues Bâtiment Ile-de-France Habitat Social, de nombreux autres territoires partenaires ont été rencontrés au travers d’échanges conjoints afin de déployer la démarche.

Actualité

En savoir plus

Au cours des dernières années, le coût du logement a crû plus vite que les revenus des Français et plus particulièrement pour ceux étant sous le seuil de pauvreté. Ce constat, corroboré par de nombreuses études statistiques, recouvre des écarts entre les différents secteurs[1] et au sein de chaque secteur du parc. Le parc locatif social est particulièrement concerné avec des bailleurs sociaux rencontrant des difficultés grandissantes, dans les zones tendues, à loger les ménages modestes et très modestes dans leur parc locatif social neuf, qui se caractérise par des niveaux de loyers plus élevés que dans le parc ancien amorti.

Dans les nouvelles opérations de logement social, les niveaux de loyers par mètre carré bien qu’inférieurs à ceux qui prévalent dans le parc locatif privé, aboutissent, après prise en compte des surfaces des logements[2] et des niveaux de charges[3], à des niveaux de coût absolu de logement trop importants pour certains ménages modestes [4].

En outre, l’analyse de l’offre nouvelle de logements sociaux dans les zones tendues et en particulier dans la région Île-de-France révèle une inadéquation avec la demande, à la fois quantitative et qualitative.

En terme quantitatifs, le nombre de logements sociaux mis en service (18 000 en 2012) est significativement inférieur aux besoins estimés de logements sociaux sur le territoire (21 000 en 2013 d’après le SDRIF 2013- 2030). Cette offre nouvelle est à rapporter au stock des 560 000 demandes actives pour accéder au parc social (dont plus des deux tiers sont des ménages qui ne sont pas déjà locataires du parc Hlm)[5].

En termes qualitatifs, 11% de la production neuve de logements sociaux est financée par des prêts PLAI[6] alors que 64% des locataires logés dans le parc social et 73% des demandeurs de logements sociaux ont des niveaux de revenus inférieurs aux plafonds PLAI[7]. Une analyse de l’offre nouvelle de logements très sociaux en Ile-de-France, caractérisée par des loyers inférieurs à 6€/m², révèle une surreprésentation de logements situés en zone urbaine sensible[8] et de grandes typologies de logements. Ainsi, les petites typologies de logements (T1 et T2) concentrent 48,5% des demandes de logements sociaux en Île-de-France [9] alors qu’ils ne représentent que 29% des logements sociaux mis en service et 12% des logements sociaux mis en service avec des loyers inférieurs à 6€/m².

Ces différents constats nous ont amené à la conviction qu’il est nécessaire de remettre le futur habitant au centre des projets de construction de logements afin de concevoir des logements en adéquation avec leurs besoins et leurs capacités financières. Cela pose la question de la capacité de l’ensemble de la chaîne de valeur du logement à se mobiliser afin de diminuer le coût du logement social neuf.

[1] Le taux d’effort moyen des ménages dans le parc locatif privé atteint 26% alors qu’il est de 21,5% dans le parc social (DREES, dossier Solidarité et Santé n°55). [2] D’après les comptes du logement 2012 (Commissariat Général au Développement Durable, février 2014), la surface moyenne des logements dans le collectif est significativement inférieure dans le parc locatif privé (52m²) que dans le parc locatif social (63m²). [3] Les charges dans le parc locatif social sont en moyennes 7% plus élevées que dans le parc locatif privé. Les charges incluent les charges collectives (entretien, parties communes, personnel) et les dépenses individuelles (petits travaux effectués par les ménages, l’assurance). Pour plus d’informations, voir Etude sur le coût global du logement social (Sources : Comptes du logement 2010, USH). [4] A cela s’ajoutent la décorrélation entre les plafonds de prise en charge de l’APL et les dépenses réelles de logement. Ainsi, 81% des loyers PLUS et 46% des loyers PLAI sont au-delà des plafonds (Fondation Abbé Pierre, RPLS 2013, calculs USH-DEEF). [5] Nombre de demandes actives de logement social en Ile-de-France à fin mai 2014 (Système National d’Enregistrement, AORIF). [6] Le financement PLAI est caractérisé par des niveaux de loyers par m² plus faibles que les autres financements (PLUS, PLS). Parmi les logements sociaux mis en service en 2012 en Ile-de-France, 11% ont été financés par le PLAI, 64% par le PLUS et 25% par le PLS. [7] DRIHL, Étude sur l’accès au logement des ménages à bas revenus (CESER). [8] 25% des logements mis en service avec des niveaux de loyers inférieurs à 6€ par mètre carré sont situés en ZUS contre 16% pour l’ensemble des logements sociaux mis en service en Ile-de-France. [9] Pour rappel, 48,3% des ménages sous le seuil de pauvreté en Ile-de-France sont des personnes isolées.

La démarche en quelques mots

L’Action Tank propose de renverser le processus de conception d’opérations de construction de logements en partant des besoins de logement du territoire et en concevant un projet de logements adaptés aux publics ciblés.

La démarche repose sur trois axes d’innovation :
Axe 1. Un diagnostic des besoins de logement sur un territoire afin de proposer une programmation adaptée aux besoins locaux
Axe 2. Une approche de coût global basée sur une co-conception multi-acteurs, et une totale transparence, dans le processus de décision.
Axe 3. Des outils de modélisation de coût global et de reste-pour-vivre des futurs habitants.

 

L’étude sur le coût global du logement social

Avant d’identifier des leviers d’économies sur le coût du logement, il est nécessaire de pouvoir le mesurer et d’expliquer ses différentes composantes. C’est d’abord pour tenter de décomposer le coût du logement que l’Action Tank a sollicité le Boston Consulting Group. L’étude, réalisée en partenariat avec Bouygues Habitat Social et Apogée (association de bailleurs sociaux), a porté sur 4 opérations réelles de construction neuve sélectionnées en fonction de leur représentativité de la production de logement social francilienne et de leur éloignement de Paris (pour accéder à cette étude complète, veuillez consulter cette page). Le périmètre du coût global retenu intègre le prix de revient classique d’une opération (foncier, construction, honoraires) mais également les coûts de financement déterminés par le plan de financement, les charges de maintenance (grosse maintenance et petit entretien) mais également les charges d’utilisation (charges non récupérables, récupérables et directement payées par le locataire). L’ensemble de ces coûts ont été calculés sur une durée de 50 ans, en prenant en compte des hypothèses d’augmentation des coûts notamment énergétiques, puis ramenés par l’actualisation à un coût en euros par mois et par logement. Ainsi, pour un bâtiment situé proche de Paris (ex. 94), constitué de 6 étages, 65 logements, et une surface moyenne par logement de 65m², le coût global atteint 751€ par logement [10].

Sur la base de cette étude, des groupes de travail diversifiés (constitués de bailleurs, gestionnaires, entreprises de construction, architectes, financeurs, bureaux d’études) ont été conduits entre février et juillet 2013 afin de valider la démarche globale, la méthode de modélisation en coût global, et d’identifier et de mesurer l’impact d’une base de leviers d’économies sur les thèmes du bâti, des fluides, du financement, et du vivre ensemble.

Suite à ce travail initial, l’Action Tank a complété l’approche en coût global multi-acteurs par une décomposition du coût par acteur : en particulier une vision locataire (calcul du taux d’effort par ménage et du reste-à-vivre) et une vision bailleur (investissement en fonds propres, trésorerie équilibrée de l’opération, valeur actuelle nette).

Sur la base de cette analyse partagée en coût global, nous avons identifié et modélisé plus de 70 leviers. En réunissant un sous-total de 40 leviers compatibles entre eux, l’économie sur le coût global du logement atteint 200€ sur un cout initial de 751€ soit une baisse de 26%. Il nous semble donc possible de diminuer le coût global mais pour cela, il nous semble nécessaire de :

  • Agir sur tous les niveaux de coûts conjointement et de manière cohérente et le plus en amont possible pour faire baisser le coût global du logement ;
  • Mobiliser l’ensemble de l’écosystème de la construction (maîtres d’ouvrages, architecte, bureaux d’études, constructeurs, pouvoir publics, gestionnaires, habitants.) dans une démarche ouverte d’équilibre d’opération ;
  • Sortir du «fétichisme» du coût de construction grâce à une modélisation en coût global: dans certains cas, il faut pouvoir augmenter le coût de construction afin de réduire le coût global ;
  • Adapter les leviers au contexte technique, économique, social de chaque projet et, en particulier, prendre en compte les profils des futurs habitants pour ajuster le projet constructif à leurs besoins et à leurs moyens ;
  • Anticiper les coûts d’accompagnement des habitants dès la conception.

Méthode de conception

Sur la base de ces travaux, l’Action Tank Entreprise et Pauvreté a développé une méthode de conception de projets de construction neuve de logements sociaux en coût global dont l’objectif est de produire des logements en adéquation avec les besoins spécifiques et les capacités financières des ménages à bas revenus. Un outil de modélisation permet de rendre opérationnel le pilotage de projets de construction non pas uniquement par le prix de revient d’une opération mais par son coût global.

La méthode développée prend son origine dans l’analyse des profils des futurs habitants du territoire (compositions familiales, niveaux de revenus, usages et besoins) et la modélisation d’un coût global maximum supportable par les habitants.

La deuxième étape consiste à modéliser le coût global initial du projet et de calculer l’écart entre la charge maximale des habitants et le coût global du projet. Une sensibilisation de l’ensemble des acteurs nous semble à ce stade fondamentale pour pouvoir tenter de faire converger lors de la troisième phase le coût global objectif et celui du projet.

Ce travail itératif de mise en adéquation de l’offre et de la demande de logement passe par des propositions de leviers pré-identifiés, et la systématisation de la recherche de leviers. Pour chaque levier identifié, une modélisation en coût global devra être réalisée. Cette étape passe notamment par un mode de discussion horizontal entre les différents acteurs afin d’éviter le fonctionnement actuel en silo, tout en faisant intervenir des acteurs qui ne sont habituellement pas ou rarement présents lors des phases de conception (mainteneurs, équipe de gestion locative,…).

Enfin, il nous semble important de poursuivre cette démarche dans les phases ultérieures de construction jusqu’à l’habitation en s’assurant de la prise en compte du coût global dans les arbitrages, et en procédant à une évaluation de l’impact du projet. Ce type d’expérimentation peut notamment servir de laboratoire pour les bailleurs sociaux qui précisent leur stratégie de maintenance et développent des observatoires des charges et de mesure de la performance énergétique des bâtiments.

Les leviers d’action identifiés

Les leviers identifiés par l’Action Tank sont de plusieurs ordres :

  • Une innovation dans le diagnostic sur les besoins de logements sur un territoire afin de proposer une programmation (typologies, surfaces, financements, produits) adaptée aux besoins locaux, en partenariat avec les acteurs du projet (DDTM, EPCI, ville, bailleur…) ;
  • Une innovation en termes d’outils de modélisation coût global et de reste à vivre des futurs habitants : une partie des modules de cet outil ont par ailleurs été mis à la disposition de la DHUP dans le cadre de l’appel à projet PLAI adaptés ;
  • Une innovation de processus en modifiant la méthode de prise de décision en proposant une approche de coût global basée sur une co-conception multi-acteurs, et une totale transparence.

[10] La version complète et la synthèse de cette étude sur le coût global du logement social sont disponibles ici.

Projet pilote

Les trois axes d’innovation ont été expérimentés sur l’opération pilote Les Jardins de Stains, sur la ZAC des Tartes à Stains dont le permis de construire a été déposé en 2019. Renforcée par une démarche participative avec des demandeurs de logement social à Stains, l’opération totalise 59 logements (du T1 au T5), très économes en énergie et charges.

  • Tous les logements sont dotés de solutions thermiques très performantes, notamment de panneaux photovoltaïques ou de récupération de chaleur des eaux grises. Ils bénéficieront du label « PassivHaus ».
  • Tous les logements proposent des quittances (loyer + charges) réduites de 12% par rapport à une opération classique, soit un gain de 70 euros/mois en moyenne pour un T3, sans subventions additionnelles.
  • Tous les futurs locataires auront la possibilité de prendre part à la gestion participative des espaces extérieurs, source d’économies et de lien social.

Cette opération a été lauréate de l’Appel à Manifestation d’Intérêt « Ville durable et solidaire » en 2016, du Prix du Jury du Grand Prix ESSEC Ville solidaire et Immobilier responsable 2019 et des Trophées Logement et Territoires 2020 dans la catégorie Programme solidaire.

Le chantier de construction a été lancé en septembre. La livraison est prévue au troisième trimestre 2022.

Un travail de capitalisation de la phase de conception du projet de Stains a été initié à la demande de l’ANRU et de Seine-Saint-Denis habitat. Il sera présenté à l’ensemble des acteurs ayant contribué au projet, et plus largement à des acteurs potentiellement intéressés par la démarche et/ou facilitateurs de son déploiement.

Ce travail comprend :

  • Une évaluation complète de la démarche avec un bilan de l’opération et une analyse critique et documentée des études menées par l’Action Tank (axes d’innovation 1 et 2).
  • Plus d’une vingtaine d’entretiens avec des acteurs participants à l’opération de Stains, des experts de la programmation de logement et de la co-conception en coût global.

 

Poursuite

En s’appuyant sur les enseignements de l’opération de Stains, un travail de transformation des pratiques chez les acteurs associés à ce projet, en particulier Seine-Saint-Denis habitat.

Différentes modalités de diffusion de cette démarche seront étudiées et mises en oeuvre. L’année 2021 doit permettre de développer de nouveaux projets et d’augmenter notre impact, grâce à un développement commercial porté par les équipes commerciales de Bouygues Habitat Social auprès de collectivités locales, à l’amélioration de la stratégie de communication, et à la visibilité apportée par le chantier de Stains et par le rapport d’évaluation de l’opération.

Nous sommes à la recherche de projets d’expérimentation complémentaires sur le territoire national et en particulier francilien. Ces projets peuvent être mixtes à la fois en termes de publics, de produits et de financement, permettant un reste à vivre amélioré de l’ensemble des futurs habitants.